4 questions à un professionnel

 

Bonjour Eric, vous êtes Défenseur des enfants - Adjoint de la Défenseure des droits et adjoint en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, merci de m’accorder cet entretien.

 

 

 

 

1/ Défenseur des enfants, cela fait beaucoup d’enfants à défendre (sourire), c’est quoi être Défenseur des enfants ? Quelles sont vos domaines d’actions ?

 

Eric Delemar : Alors, vous avez raison, au-delà de la boutade, 15 millions d’enfants de moins de 18 ans vivent dans notre pays. Il faut rappeler bien entendu l’article 71-1 de la Constitution qui précise que le Défenseur des droits veille au respect des droits et des libertés, ce qui est fondamental. Nous intervenons conformément à la Convention Internationale des droits de l’enfant, puisque ma mission est de défendre l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant. Nous intervenons lorsque les institutions, l’école, les départements en matière de protection de l’enfance, les collectivités territoriales, les mairies par exemple en matière de petite enfance, n'ont pas su ou pas pu établir ou rétablir les enfants dans leurs droits, malgré les interpellations des enfants eux-mêmes ou de leur famille.

 

Depuis que je suis arrivé en novembre 2020, avec Claire Hédon, la Défenseure des droits, l’institution a enregistré 11 000 saisines sur notre mission de défense des droits de l’enfant. Les deux principaux motifs de saisine sont les discriminations liées au droit à l’éducation et le champ de la protection de l’enfance. Pour le premier, il s’agit d’enfants pour lesquels on refuse l’inscription scolaire, notamment du fait de la précarité familiale due à l’absence ou la fragilité de l’habitat ; enfants vivant dans des bidonvilles, des campements, des hôtels sociaux. Pourtant, le droit à l’éducation est un droit constitutionnel fondamental, et c’est à des enfants vivant dans la pauvreté à qui on va interdire le droit à l’école ! L’UNICEF a rappelé, en cette rentrée scolaire, que 2 000 enfants vivaient dans les rues tous les soirs ; dans des parkings ; dans des voitures ; dans des gares, que 31 000 vivent avec leur famille dans des hôtels sociaux. 6 000 enfants, rien que dans l’hexagone vivent dans des bidonvilles, si vous rajoutez Mayotte, avec 15 000 enfants qui n’ont pas accès à l’éducation, les chiffres s’affolent...

 

Ce sont également des enfants en situation de handicap qui n’ont pas accès au droit à l’éducation, par manque d’AESH, ou qui ne sont scolarisés que partiellement. On ne confère pas à ces enfants le statut d’élève. A la rentrée de septembre, des mamans nous ont écrit que leur enfant ne s’était pas levé pour le petit-déjeuner avec ses frères et sœurs car, lui, il n’avait pas classe, du fait que l’AESH qu’on lui avait pourtant annoncée fin juin n’était pas là, d’autres que l’AESH habituelle serait désormais mutualisée sur 3 établissements, et qu’elle ne serait disponible pour leur enfant que 6 heures par semaine, au lieu des 12h de l’année scolaire précédente. 

 

Nous sommes saisis principalement par les mamans, par les parents, par les enfants eux-mêmes parfois à hauteur de 10%, mais aussi par des associations, des avocats ou des professionnels de santé. Outre, les agents du siège, essentiellement des juristes, 570 délégués du Défenseur des droits répartis sur l’ensemble du territoire national reçoivent gratuitement les familles et après les avoir entendues, vont se mettre en lien avec l’Éducation nationale, l’école, les services des académies, pour rappeler le droit à l’éducation et rétablir les enfants dans ce droit à l’éducation. C’est de la médiation, qui ne suffit pas toujours. Quand les atteintes aux droits sont répétées, ce sont alors les services juridiques à Paris qui vont rappeler le droit et avec la Défenseure nous formulerons des recommandations pour rétablir la situation.

 

Le second motif de saisines concerne la protection de l’enfance. Nous sommes face à une situation dans laquelle certains départements ne parviennent plus à assurer pleinement leurs missions. Nous faisons le constat d’une approche bien trop fragmentée de l’enfance dans nos politiques publiques. Il est indispensable de penser plus largement la protection de l’enfance. La prévention, la lutte contre la précarité, le soutien à la parentalité dès la petite enfance doivent être au cœur de nos réflexions.

 

Fin 2022, et pour la première fois, l’institution a été interpellée par des magistrats sur les failles du système de protection de l’enfance au sein de certains départements. En effet, de nombreuses mesures de placements, pourtant prononcées judiciairement, ne sont pas exécutés. Des mesures d’assistance éducative sont prises en charge dans des délais trop longs et des ruptures souvent observées dans les parcours des enfants. J’ai été saisi, par exemple, de situations d’enfants qui, en quelques mois, ont dû changer 8 fois de lieux d’accueil. Il est donc indispensable de donner aux professionnels des leviers efficaces d’action et de soutien auprès des familles, pour que la situation de l’enfant avance positivement. Dans notre rapport remis au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, nous avons relevé que le projet pour l’enfant est loin d’être mis en place par tous les départements, alors qu’il est un outil précieux de pilotage de la protection de chaque enfant.

 

La question se pose aussi de réformer les modalités de formation des travailleurs sociaux en proposant une spécialisation initiale et continue sur les droits de l’enfant et une autre en médiation familiale. En outre, le manque d’attractivité des métiers du social est devenu une vraie difficulté.

 

Je voudrais rappeler que le Défenseur des droits dispose de larges moyens d’investigation pour enquêter sur les demandes qui lui sont adressées. Les personnes mises en cause ne peuvent refuser la communication des pièces demandées par le Défenseur des droits. Si elles refusent, il peut adresser une mise en demeure puis saisir le juge des référés, ou encore invoquer le délit d'entrave prévu par la loi. Par ailleurs, les agents du Défenseur des droits sont aussi soumis à un strict secret professionnel.

 

 

2/ « Il n’est pas simple d’être un enfant ou un jeune aujourd’hui », cette réflexion est de vous et je suis bien d’accord. Pourtant les lois évoluent, il existe une Convention Internationale des Droits de l’Enfant qui, du fait de leur vulnérabilité, de leur âge, protège davantage les enfants et leur confère des Droits spécifiques. Le problème, que nous constatons également lors de nos interventions en milieu scolaire, c’est que ces Droits ne sont pas ou peu connus des enfants, ni des adultes. Comment faites-vous pour faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant dans un pays où l’enfant n’a pas encore la place d’un être à part entière à respecter, à écouter et avec des Droits pourtant très importants que les adultes doivent appliquer et respecter ?

 

Eric Delemar : Oui, je me souviens, j’ai mentionné cette phrase dans le cadre d’un programme européen qui portait sur l’injustice climatique dans tous les pays et de l’impact sur les enfants qui vivent dans les contextes les plus précaires, et comment cette pauvreté s’accentue en raison du réchauffement climatique. Les enfants grandissent dans un monde confronté à de multiples crises ; sanitaire, économique avec la peur du déclassement, contexte de guerre à nos portes.

 

J’avais donc répondu cela à un parlementaire qui disait que les enfants étaient élevés dans un contexte d’enfant roi. Nous aimons nos enfants, mais sans doute moins leur enfance, nous voudrions qu’ils soient autonomes le plus rapidement possible. Pour certains cela va jusqu’à souhaiter qu’ils soient pénalement responsables comme les adultes ! Comment préserver l’insouciance qui caractérise l’enfance : en permettant à nos enfants de jouer, d’être protégé et de redoubler d’effort dans l’application des droits et dans l’écoute de la parole des enfants. Je répète souvent que petits êtres humains ne veut pas dire petits droits.

 

Pour connaître ses droits, un enfant doit d’abord savoir qu’ils existent et qu’il est de fait sujet de droits. Concrètement, le Défenseur des droits a mis en place un programme de sensibilisation qui s’appelle le programme des jeunes ambassadeurs des droits qui sensibilisent 55 000 enfants chaque année. C’est une façon pour nous de dire à l’État, voilà ce qu’il est possible de faire comme action de sensibilisation. Mais nous n'avons pas vocation à remplacer l’État et ne pouvons sensibiliser les 12 millions d’élèves. La mise en œuvre de cette action de sensibilisation, ludique et pédagogique, - avec une formation initiale de ces jeunes en service civique pendant 3 semaines et ensuite un accompagnement continu sur le terrain par nos délégués ou des chargés de mission du siège ou moi-même,- permet aux jeunes ambassadeurs  de se rendre dans les écoles, dans les établissements médico-sociaux ou de protection de l’enfance. Et sur l’année scolaire 2022/2023, ils ont sensibilisé des jeunes incarcérés dans 5 des 6 établissements pour mineurs. Nous avons cette volonté aussi d’aller au plus près des jeunes qui sont le plus éloignés de leurs droits, car les jeunes incarcérés pensent que c’est normal qu’ils n’aient aucun droit, puisqu’ils sont dans un lieu de privation de liberté. Alors qu’un tel lieu ne doit pas être un obstacle pour avoir accès aux soins ou à l’éducation, si on veut lutter contre les risques de récidive. Nous avons également rédigé un guide à l’usage des intervenants de l’action sociale et nous allons mettre en œuvre plusieurs programmes de formation.

 

Au moyens des décisions que nous rendons sur les situations que nous recevons et les avis que nous formulons au Parlement (la Défenseure des droits est reçue plus d’une quarantaine de fois par an par l’Assemblée nationale et le Sénat pour donner son avis sur certains textes de loi en préparation et pour ma part une quinzaine de fois par an), le Défenseur des droits contribue à rendre visible ses missions de protection et de promotion des droits. Nous faisons donc en sorte de dire pédagogiquement aux instituions, sur la base du droit, comment elles auraient pu agir autrement. 

 

Vous évoquez le sujet fondamental des adultes qui méconnaissent les droits des enfants. Cette année est une année étrange, même si elles le deviennent un peu toutes. Le 6ème examen de la France sur l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a eu lieu en mai. Parmi les 6 grandes recommandations qu’il a faites, j’en citerai deux. La première porte sur les violences faites aux enfants, notamment les abus sexuels pour lesquels la France ne lutte pas suffisamment sur la prise en compte de la parole et de l’écoute des enfants. Et pour ceux qui ont osé parlé, leur parole n’a pas été entendue. La seconde recommandation porte sur l’inexécution des mesures d’assistance éducative. Il n’y a jamais eu autant de mesures inexécutées que ce soit dans la scolarisation des enfants en situation de handicap ou en protection de l’enfance. Pour que les droits de l’enfant deviennent un sujet politique, il faut les rendre publics et nous avons commencé à le faire. Des adultes ont eu le courage de briser l’omerta, et de s’exprimer dans les médias. Mais il nous faut aller plus loin pour que les enfants n’aient plus besoin d’attendre d’être des anciens enfants pour être écoutés et entendus.

 

On ne considère pas encore l’enfant comme un sujet de droits. Vous me demandez pourquoi ? Parce notre société ne considère pas l’enfant comme un être à part entière. La Convention internationale des droits de l’enfant nous rappelle que l’enfant devient détenteur de l’ensemble des droits de l’homme dès sa naissance, et notamment, le droit d’être protégé contre toutes les formes de violence. Le corps des enfants n’appartient pas aux adultes ! Ce corps que l’on pourrait marquer parce que nous avons l’ascendant physique. Vous imaginez si nous faisions la même chose entre adultes à chaque fois que nous sommes en désaccord ! Il faut également soutenir toutes les formes de parentalité en prenant en compte l’évolution des structures familiales. Il nous faut enfin respecter la loi de juillet 2019 pour en finir avec les violences éducatives dites ordinaires. En plus du code civil, Il faut élargir la loi dans les codes de l’éducation, de la santé, du sport, du CASF car le service public et les institutions doivent montrer l’exemple sur ces violences qui s’exercent. Sur la question du harcèlement, je le vois bien, on dit aux enfants : « pourquoi tu n’as pas parlé avant, alors qu’il y a le programme Phare ». Les gens ne comprennent pas la complexité pour l’enfant de dire, de signaler. L’enfant va se dire, « oui, je suis sensibilisé mais ça fait six mois que je suis harcelé dans les toilettes, lieu de non droit où personne ne va ». On veut voir l’élève, mais beaucoup moins l’enfant ! On « saucissonne » alors les droits de l’enfant par son « statut », élève, enfant en situation de handicap, malade, confié à la protection de l’enfance, délinquant… et l’on perd de vue la situation globale qui caractérise l’enfance. Chaque institution y va de sa politique très fragmentée, sans prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant. Notre pays est riche de pluridisciplinarités, mais nous devons apprendre la culture des coopérations, et qu’elles se traduisent effectivement sur le terrain. Face aux enfants vulnérables, l’éducateur, l’enseignant, l’infirmière, l’animateur est toujours aussi seul sur le terrain. Les partenariats ne doivent pas avoir lieu uniquement sur les temps de réunions ! 

 

 

3/ Plus de 350 000 enfants en France sont concernés par au moins une mesure de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance). Vous avez été éducateur spécialisé, l’ASE est en grande souffrance depuis quelques années, manque de moyens, des éducateurs ou chefs de service partent épuisés, pas ou peu de contrôles, 7 à 10 000 enfants étaient placés dans des hôtels (ce qui est aujourd’hui interdit, est-ce bien le cas ?), livrés à eux-mêmes bien souvent, certains se prostituent, d’autres sont agressés sexuellement au sein même des foyers ou familles d’accueil, d’autres encore décèdent. Pourquoi, d’après vous, la France n’arrive-t-elle pas à gérer correctement l’ASE et donc à assurer à ces enfants, qui vivent déjà une situation personnelle complexe pour eux-mêmes, un présent bienveillant, adapté, protecteur et donc un avenir, puisque 23% des enfants placés à l’ASE finiraient à la rue, SDF ? Que faudrait-il faire pour que cela change rapidement ?

 

Eric Delemar : Je crois qu’on est tous d’accord pour dire que, malgré la création en 2019 du Secrétariat d’État chargé de l’enfance, et qui fait suite à cette réalité que vous décrivez, cette politique de l’enfance reste encore invisible, et ce malgré l’engagement d’Adrien TAQUET, et désormais de Charlotte CAUBEL, qui dispose désormais d’un secrétariat d’état rattachée à la 1ère ministre et donc avec un périmètre inter ministériel. Une des erreurs politique consiste à ne retenir que ce nombre de 350 000 enfants pris en charge par la protection de l’enfance, ce qui est au fond peu eu égard aux 15 millions d’enfants. Mais ce sont combien de frères et sœurs, de pères, mères, beaux-parents, grands-parents qui sont au quotidien sous l’emprise de ces maltraitances et situations de violence, qui ressentent la souffrance, la honte ou la culpabilité, le déni ? Sans doute des centaines de milliers, voire 1 à 2 millions ? Nous ne le savons pas. Comment voulez- vous dans ce cas avoir une vraie politique publique ? 

 

Il n’y a pas de protection de l’enfance sans le respect des droits fondamentaux, sans réponse aux besoins des enfants. C’est bien aux institutions de s’adapter, nous l’avons redit avec la Défenseure des droits, Claire Hédon. Sur la question du handicap, c’est également à l’école de s’adapter aux enfants et non le contraire. Et puis encore une fois il faut une politique forte de soutien à toutes les formes de parentalité, c’est ça la politique de protection de l’enfance. On ne réalise pas qu’en agissant de manière préventive ce sont des enfants qu’on va sauver, qu’on va protéger.  

 

La politique publique de protection de l’enfance est une politique qui n’atteint pas en l’état ses destinataires, à savoir les enfants. Nous allons rentrer dans le deuxième plan de lutte contre les violences faites au enfant, l’objectif est d’atteindre plus de 160 unités pédiatriques d’accueil d’enfants en danger (UAPED), je les rencontre ces UAPED et les équipes me disent : « on n’a pas les moyens, Il ne s’agit pas seulement de bien filmer la parole de l’enfant victime lors de son audition, mais ensuite qu’est-ce qu’il se passe en matière de suivi de santé des enfants protégés ? » 

 

On a ces annonces-là, qui au regard de l’ampleur de la tâche à poursuivre ne suffisent pas, et puis vous avez sans doute vu aussi le rapport le plus récent du 5 juillet du Sénat qui dit en substance de « mieux appliquer les lois pour mieux protéger nos enfants ». La loi de 2007 sur le projet pour l’enfant lorsqu’il est confié, peine à se mettre en place. Elle est appliquée dans 20% des cas. La loi de 2016 sur la protection de l’enfance indique que les enfants doivent avoir un bilan de santé, mais à peine 30% des enfants l’ont. De nouvelles lois, sans évaluer les précédentes, sont des logorrhées législatives. Aujourd’hui, des travailleurs sociaux sécurisent les enfants pour qu’ils s’expriment sur les violences subies, lui disent d’avoir confiance, avec le risque qu’ensuite, faute de places dans le dispositif, ils ne soient pas protégés et restent dans leur famille ! Vous imaginez les dégâts sur le développement de ces enfants, comment auront-ils confiance demain dans tous ces adultes qui lui ont dit que rien ne s’établit sans la confiance. 

 

Nous sommes également particulièrement inquiets de la situation des mineurs non accompagnés, à nouveau exacerbée par des oppositions entre État et départements. Remise en cause de leur statut d’enfant protégé au titre de l’aide sociale à l’enfance, prolongation de l’accueil en hôtel, remise en cause des APJM. Les quelques avancées positives de la loi du 7 février 2022 les concernant, notamment le droit consacré à une poursuite de prise en charge à l’aide sociale à l’enfance de tout jeune majeur de moins de 21 ans ne disposant pas de ressources financières ou familiales suffisantes, n’ont pas été respectées et ce, dès 2022. Cela a donné lieu à de nombreux contentieux devant le juge administratif, dans lesquels la Défenseure des droits est intervenue. Ensemble, nous avions alerté les parlementaires au moment des débats. Concernant la clé de répartition du nombre de mineurs non accompagnés, qui vise à améliorer les solidarités entre départements et répartir ainsi les MNA sur tout le territoire, nous déplorons qu’il ne soit pas tenu compte, dans le calcul de cette clé, de la situation particulière des départements où de nombreux jeunes se présentent spontanément, ce qui concerne notamment certains départements frontaliers ou certains départements d’Ile de France. Il y aurait également beaucoup à dire sur les difficultés d’accès à la protection de l’enfance et à la demande d’asile des mineurs non accompagnés interpellés aux frontières de la France avec un autre État membre de l’Union européenne, qu’on appelle « frontières intérieures », eu égard au renouvellement des contrôles au niveau de ces frontières par la France. En effet, le système qui y est mis en place favorise les situations de refoulement des mineurs, sans possibilité de saisir l’autorité judiciaire, et conduit à invisibiliser ces jeunes vulnérables qui multiplient les tentatives de passage en prenant davantage de risques.

 

La crise sanitaire a marqué une pause dans les mouvements des flux migratoires et nous retrouvons les chiffres de 2019. Il ne s’agit donc pas d’une augmentation.

 

La crise sanitaire nous a confronté à des difficultés d’attractivité pour tous les métiers de l’humain. Mais les alertes étaient déjà là : absence de reconnaissance, fragmentation des politiques publiques qui entraînent indéniablement des phénomènes de déresponsabilisation, diminution des moyens. Là encore, il nous faut trouver une culture de la coopération, une vraie culture d’étude d’impact. Nous avons réformé chacune des grandes institutions de l’enfance de manière cloisonnée, le virage inclusif à marche forcée, sans réponse aux besoins : PJJ, ASE, Handicap, pédopsychiatrie,... Chacune s’est réformée dans son coin, et nous avons oublié que des enfants avaient des vulnérabilités croisées !

 

De même lorsque nous écoutons réellement les professionnels de terrain, enseignants, travailleurs sociaux, médecins magistrats, psychologues, on se rend compte de l’augmentation des tâches administratives qui consistent en reporting, en statistiques à remplir par les professionnels de la relation. Plus les technostructures envahissent les strates, plus elles inondent les métiers de l’humain, ce qui clairement et au-delà des discours, éloignent les institutions de la réponse aux droits et aux besoins. Un des points positifs évoqué par ces professionnels lors de la crise sanitaire, est qu’ils ont pour la plupart retrouvés du pouvoir d’agir. Environ 60 000 enfants vivaient dans des MECS, lieu de vie, foyer de l’enfance, dont la très grande majorité ont continuer à accueillir les enfants, à vivre avec eux. Ce sont sans nul doute les seules collectivités qui ont continuer autant leur mission.

 

 

4/ Les jeunes ont besoin d’être encouragés, d’être soutenus, qu’on porte sur eux un regard positif et bienveillant, ils ont besoin de participer, d’être valorisés à juste titre. Bref, à mon sens, on doit tout faire pour les jeunes, en tout cas le maximum pour qu’ils évoluent correctement et s’épanouissent. En France, un tiers des pauvres sont des enfants (5,2 millions de personnes sous le seuil de pauvreté), les étudiants ne peuvent pas se loger, 40 % des étudiants exercent une activité rémunérée pendant l’année universitaire, 56% des étudiants avouent ne pas manger à leur faim, etc. Comment en sommes-nous arrivés là ? Avez-vous des moyens d’action ou des recommandations envers les politiques pour que les jeunes puissent vivre convenablement et dignement ?

 

Eric Delemar : On peut effectivement dire que l’enfance, la jeunesse et les personnes âgées, ne font pas partie des priorités.

 

L’impact de la pauvreté des parents est considérable sur les enfants. Cela touche à plusieurs de leurs droits fondamentaux : le droit au logement, à l’accès aux soins, à la scolarité, et aux loisirs aussi. La pauvreté a également une incidence sur leur avenir. Un enfant sur cinq vit sous le seuil de la pauvreté ! C’est absolument insupportable. Dans notre rapport 2022 consacré au droit à la vie privée des enfants, nous recommandions d’accroître le nombre de logements très sociaux destinés aux familles les plus précaires et de développer des structures de transition - de l’hébergement au logement - adaptées à l’accueil de familles avec enfants.

 

Lors de la sortie de notre rapport sur la santé mentale en 2021, nous avions insisté sur le fait qu’un enfant qui ne va pas bien, qui n’est pas protégé, aura des difficultés d’apprentissage développera des troubles psychiques, alimentaires peut-être sera-t-il un adulte qui n’ira pas bien, dans une société qui n’ira pas bien de fait. Alors que l’on sait bien que la prévention est le maître mot pour vivre dans une société sereine.

 

Les enfants que j’ai rencontrés dans notre réseau européen des Défenseurs des enfants m’ont dit : « nous, les enfants, on est comme le réchauffement climatique, tout le monde en parle, on nous dit que nous sommes l’avenir de l’humanité, que le climat est un sujet primordial qui concerne tout le monde. Mais finalement les choses ne bougent pas ».

 

Nous savons par exemple qu’en matière de réchauffement climatique les futures générations d’enfants vont devoir faire des efforts sans pour autant en voir les bénéfices. Ce n’est pas une crise passagère, nous ne retrouverons pas la situation d’avant, nous ne perdrons pas les 4 ou 5 degrés d’augmentation des températures. 

 

Pourtant, nous savons bien que lorsqu’un enfant a des difficultés et que la mobilisation des professionnels est rapide, que nous prenons le temps de l’écouter, d’échanger avec lui, cela favorise sa compréhension du monde, il peut rapidement aller mieux, et se sentir acteur pour participer à l’amélioration de la société. C’est aux adultes d’offrir aux enfants cet espace de parole nécessaire pour leur bon développement, c’est un changement de paradigme qu’il faut opérer.

 

Dans notre rapport 2023 consacré aux droits de l’enfant dont le thème est le droit aux loisirs, au sport et à la culture, nous avons sollicité la participation de 3 800 enfants. Ils étaient 1 200 l’année dernière. Nous croyons intimement que donner la parole aux enfants, les engager à s’exprimer, à donner leur avis sur leur quotidien, remet l’enfant au cœur des sujets qui le concerne. C’est une manière de dire notamment aux pouvoirs publics que c’est possible d’associer les enfants à des décisions publiques au lieu de prendre ces décisions sans eux, sans les consulter, à leur place. Notre mission, au Défenseur des droits, est la défense et la promotion des droits de l’enfant et de rétablir les enfants dans leurs droits quand ceux-ci ne sont pas respectés. N’oublions pas que sans droit il n’y a pas de dignité humaine, il n’y a pas de justice et que cela peut menacer notre cohésion sociale, déjà fragilisée.

 

 

 

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