4 questions à un professionnel

 

 

 

 

Bonjour Aude, vous êtes une militante pour la protection de l’enfant, merci de m’accorder cet entretien.

 

 

 

 

1/ Suite au décès de votre fils, lié au syndrome du bébé secoué, vous avez courageusement décidé de porter à la connaissance de toutes et tous ce drame qui concerne des centaines d’enfants chaque année. Pouvez-vous nous dire ce qu’est exactement le syndrome du bébé secoué et existe-t-il un profil type de personne exerçant cette maltraitance ? Des études disent que ce sont majoritairement des hommes et sur des garçons.

 

Aude Lafitte : Lorsque mon fils a été hospitalisé et que les médecins ont posé le diagnostic, je n’ai pas compris ce qui arrivait car je pensais savoir ce qu’était le Syndrome du Bébé Secoué et la situation ne collait pas avec ce que je croyais connaître. Je n’avais jamais reçu de prévention sur cette maltraitance de la part des professionnels de santé, et j’ai pourtant accouché deux fois, dans deux maternités parisiennes différentes. Du coup, le peu d’informations que j’avais eues sur le sujet provenait des médias et des faits divers relayés, et toujours le cas d’une assistante maternelle qui avait secoué un bébé. Je pensais donc naïvement que seules des personnes extérieures à la famille étaient capables d’une telle violence à l’encontre d’un nourrisson sans défense.

 

Mais la réalité est toute autre. En premier lieu, et contrairement à la façon dont le sujet est traité médiatiquement, ce ne sont pas des faits divers mais un véritable phénomène de société. Officiellement, on parle de 500 bébés victimes de cette maltraitance chaque année en France. C’est plus d’un bébé par jour. Un bébé sur 10 va en décéder, quand 75% des survivants garderont des séquelles pour la vie entière. Or, tous les experts s’accordent à dire que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg et que ce chiffre des victimes est largement sous-estimé. Une étude réalisée par Necker avec l’Inserm, sortie en septembre 2022, a révélé que le nombre de bébés secoués avait doublé en 2021, avec une mortalité multipliée par 9. On est plutôt sur des milliers de bébés victimes de cette maltraitance chaque année, sauf qu’on ne les voit pas, parce que seuls les cas les plus graves sont hospitalisés, mais cela n’empêchera pas ceux qui semblent s’en remettre d’avoir des séquelles neurologiques irréversibles dont les conséquences se verront au fur et à mesure que l’enfant grandira : cécité ou déficience visuelle, épilepsie, troubles du comportement, du langage et de l’attention, déficiences motrices et neurologiques allant jusqu’à une tétraplégie et une impossibilité de communiquer dans les cas les plus graves, sachant que chaque enfant étant unique, les séquelles ne sont pas identiques d’un enfant à l’autre.

 

Concernant le profil des secoueurs, nous disposons en effet de données qui montrent que 70% des auteurs de secouements sur nourrissons sont des hommes. A quelques exceptions près, ce sont les pères des bébés, plus rarement le conjoint de la mère, mais dans tous les cas celui qui fait office de figure paternelle. Les assistantes maternelles arrivent en deuxième place dans les auteurs de secouements. Enfin, les mères représentent moins de 10% des auteurs, alors même que ce sont elles qui sont le plus au contact du bébé et dont on sait qu’elles sont le plus fatiguées par les nuits courtes de bébé. Et vous avez raison, concernant les victimes, ce sont les petits garçons qui sont majoritaires, ils représentent 70% des victimes. Ce sont majoritairement des enfants de moins d’un an, dans 2/3 des cas de moins de 6 mois, et on observe un pic entre 2 et 4 mois, qui correspond au retour de la maman au travail, et donc aux premiers moments de garde par le père seul ou par l’assistante maternelle.

 

Face à cet écart entre la réalité de cette violence et toutes les idées reçues véhiculées dans les médias ou entendues dans mon entourage, j’ai décidé de prendre la parole dans les médias pour alerter et rétablir la vérité sur cette violence, qui n’est jamais un accident mais le geste extrêmement violent d’un adulte qui saisit le plus souvent le bébé sous les aisselles et le secoue avec beaucoup de force, faisant balloter sa tête dans tous les sens, et engendrant des hématomes à l’intérieur de son cerveau et des lésions parfois fatales. Contrairement à la belle histoire qui serait plus facile à accepter et qu’on aimerait se raconter, on est bien loin du craquage ou du geste quasiment de désespoir d’une mère épuisée qui aurait, pendant 2 secondes, perdu pied.

 

 

 

2/ C’est une thématique que nous abordons lors de nos formations adultes à l’association et de nombreuses personnes encore ne connaissent pas ce syndrome, ou mal, et notamment les conséquences. Il y en aurait plus de 400 chaque année, 1 bébé sur 10, victime de secouements, décède, les autres en subiront les conséquences toute leur vie. Comme vous l'avez dit, le syndrome du bébé secoué est à l’origine de graves séquelles neurologiques qui se manifestent par des déficiences intellectuelles, visuelles ou motrices, ainsi que des troubles du comportement, de la parole ou de l’attention. Que faut-il faire en cas de difficultés avec un bébé, quand on ne parvient plus à faire face aux pleurs, qui sont normales pour un bébé, et que la fatigue se ressent ? Que conseillez-vous aux parents ? On classe ce syndrome dans les maltraitances, mais est-ce que tout le monde sait qu’il s’agit d’une maltraitance ?

 

Aude Lafitte : Non, tout le monde ne sait pas qu’il s’agit de maltraitance, j’entends encore trop souvent que c’est un accident, ou que cela peut être provoqué par un jeu tel que l’avion et le fait de lancer en l’air son enfant, ou encore qu’une chute de la table à langer peut provoquer les lésions du bébé secoué. C’est bien sûr totalement faux. Je me répète, mais il faut se remettre dans le contexte de survenue de cette violence : il s’agit d’un adulte, seul avec le bébé donc à l’abri des regards, qui secoue violemment un tout-petit sans aucune capacité de défense ou de dénonciation, les yeux dans les yeux. Ce n’est pas un geste de désespoir, c’est le geste d’une grande lâcheté d’un adulte qui assoit, par la violence, sa domination sur un petit être qu’il juge inférieur et qui le dérange par ses pleurs. Ce n’est pas un geste banal, et sûrement pas un geste que tout le monde peut réaliser.

 

En revanche, ce qui peut arriver à tout le monde, c’est de se retrouver en difficulté face aux pleurs de son bébé. Ce sentiment est tout à fait normal, et je défie tout parent de me dire qu’il n’en est jamais passé par là. Dans ce cas, la solution est simple, il faut coucher le bébé en sécurité dans son lit, sur le dos, fermer la porte et prendre le temps nécessaire pour se calmer. Et ne reprendre le bébé dans ses bras que lorsque l’on est à nouveau apaisé. Alors, chacun aura sa technique pour faire retomber la pression, personnellement il m’est arrivé d’aller m’enfermer dans la salle de bain pour pleurer et ça allait mieux ensuite. Eventuellement, appeler une personne de confiance, le fait de parler permet souvent de relâcher les tensions, et le fait de se sentir écouté.e et soutenu.e libère rapidement. Si l’on n’a pas de personne de confiance disponible, il existe aussi le numéro gratuit Allô Parents Bébés avec des professionnels à l’écoute, cela peut être un bon outil également.

 

 

 

3/ Vous avez vécu ce drame, la perte d’un enfant, sans doute le plus insurmontable, comment avez-vous fait pour trouver la force, notamment, d’aller en parler ouvertement ? Qui vous a annoncé qu'il s’agissait du Syndrome du Bébé Secoué et comment en ont-ils eu la certitude ? Que conseillez-vous aux parents confrontés à cela, avez-vous fait un travail, y a-t-il une thérapie plus efficace qu’une autre ?

 

Aude Lafitte : La force, ce sont les enfants qui me la donnent. Mon fils d’abord, pour que sa mort ne soit pas vaine ; ma fille aussi, qui mérite d’avoir une maman qui se relève, certes en boitant, mais qui est là pour elle. Mais aussi et surtout pour tous les enfants, et ceux à naître. Qu’ils soient protégés, à tout prix. La période de la toute petite enfance est fondamentale et structurante, on le sait, et l’on doit tous agir pour que chaque bébé puisse grandisse sans violence. Face à ce drame que je subissais, j’ai eu besoin d’agir, ne plus rester spectatrice impuissante de ces drames trop nombreux qui fauchent les enfants à l’aube de leur vie, et passer dans l’action.

 

Dans mon cas, ce sont les médecins qui m’ont annoncé que mon fils avait été victime de la maltraitance du bébé secoué. Les différents examens qu’ils lui avaient fait passer ne laissaient aucun doute quant aux lésions constatées, et hormis la maltraitance du bébé secoué, seul un accident de la route à grande vitesse peut provoquer ce type de lésions. Or, il n’y avait pas eu d’accident de voiture. Les examens d’imagerie (scanner, fond d’œil, IRM), rapportés à l’histoire clinique de l’enfant, permettent en effet de poser le diagnostic, comme le documente très précisément la Haute Autorité de Santé.

 

Evidemment, savoir que notre enfant a été maltraité est dur à entendre, et la culpabilité de n’avoir pas pu protéger son enfant est écrasante. Plus globalement, il m’a fallu faire un travail sur moi, accepter de continuer à vivre sans mon enfant, pour cela je suis accompagnée par des thérapeutes, et l’on utilise l’hypnose pour travailler sur les épisodes les plus douloureux. Il existe plusieurs autres méthodes très efficaces pour les grands traumatismes, comme l’EMDR ou la PNL, c’est à chacun et chacune de trouver celle qui lui convient le mieux.

 

 

 

4/ Cette violence duelle, sans témoin, est a priori encore sous-estimée en France. Vous avez dit que vous n’aviez jamais entendu parlé de ce syndrome durant vos grossesses, participez-vous à des groupes de travail, je pense aux 1000 premiers jours afin qu’une prévention efficace soit mise en place ? Que demandez-vous aux autorités politiques pour que cette violence soit davantage connue, reconnue et surtout pour qu’elle cesse ?

 

Aude Lafitte : C’est exactement ça, lorsque mon bébé est décédé, j’ai tout à coup réalisé que je n’avais jamais été sensibilisée à cette maltraitance de la part des professionnels de santé qui ont suivi mes deux grossesses et mes deux séjours à la maternité. Et c’était le cas de toutes les personnes à qui j’en parlais. C’est intolérable. C’est pourquoi j’ai interpellé les pouvoirs publics sur l’absence totale de prévention en milieu hospitalier, ce qui m’a permis de travailler avec le Secrétaire d’Etat à l’Enfance, Monsieur Adrien Taquet, à la réalisation d’une campagne nationale de sensibilisation lancée en janvier 2022. Le sujet de la maltraitance du bébé secoué a également été ajouté aux outils des 1000 premiers jours (site et application), et je travaille actuellement avec le Ministère de la Santé pour l’inclure dans les Assises de la Pédiatrie qui se tiendront en mai prochain.

 

Mais ce n’est pas suffisant, et je demande trois choses aux autorités politiques. D’abord la formation de tous les professionnels de santé et de la petite enfance, car je me suis rendue compte qu’ils ne maitrisent pas ce sujet sensible, et ont même peur d’en parler avec les parents. Ce qui explique l’absence de prévention en maternité. Sans parler du repérage de cette maltraitance qui n’est pas toujours fait au premier épisode de secouement, et qui interroge sur la capacité de notre société à protéger ses enfants.

 

Ensuite, une prévention systématique et obligatoire auprès de tous les parents avant leur sortie de la maternité. Car le séjour à la maternité reste le seul moment où l’on peut échanger avec les deux parents, les pères étant le reste du temps relativement difficiles à atteindre.

 

Enfin, des sanctions pour les auteurs de cette violence à la hauteur des faits. Le code pénal prévoit 30 ans de réclusion criminelle pour un bébé secoué qui en décède et 20 ans pour les bébés secoués avec une infirmité permanente, c’est en théorie ce qu’encourt le parent ou l’assistante maternelle, mais ce ne sont pas ces peines que l’on observe. En pratique, les peines retenues dans ce type de dossier sont bien souvent inférieures à celles prononcées dans des affaires à qualification juridique identique pour une victime enfant plus âgée ou adulte. Parfois, c’est uniquement du sursis pour l’auteur. Sans parler du fait que, dans le cas des assistantes maternelles, elles peuvent être condamnées à une peine complémentaire d’interdiction de travailler avec des mineurs pour 5 ans seulement, alors que l’interdiction devrait être à titre définitif lorsque la personne a maltraité à mort un enfant, d’autant que l’on connaît les forts risques de récidive.

 

L’élément principal permettant de comprendre cette mansuétude des juges et des jurés et cette différence de traitement est une tendance à excuser l’attitude de l’auteur, voire à ressentir une forme d’empathie pour lui. L’agresseur de l’enfant est finalement considéré comme un adulte en détresse qui aurait agit impulsivement à cause des pleurs de l’enfant. Cette compassion pour l’accusé, cette identification à l’auteur, est le résultat des idées reçues dont on a déjà parlé. C’est insupportable, parce que c’est faux, et parce que l’on occulte alors totalement la seule victime, à savoir le bébé.

 

A travers les peines prononcées, l’atteinte à la vie d’un nourrisson, à l’inverse de celle d’un enfant ou d’un adulte, semble apparaître comme une circonstance minorante, alors qu’elle devrait au contraire être aggravante et que la société devrait assurer la protection des plus vulnérables. Ce n’est pas parce que les victimes sont toutes petites qu’elles ont moins d’importance.

 

 

 

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