Nos articles de presse

Je m’adresse à toi la Société, comprenne qui pourra, on dit que tant que l’on n’a pas vécu les choses on ne peut pas les comprendre, on peut au moins tenter de les entendre.

En dehors des témoignages précieux et indispensables, il faut sans doute de la pédagogie pour faire entendre l’indicible à celles et ceux qui crient au scandale de l’étalage public, à l’incompréhension du silence ou même de ce qu’est un enfant. Dans cet état de fait, l’un comme l’autre mettent encore en cause la victime, jamais l’agresseur, c’est un point qu’il faut souligner. La victime devrait être responsable aussi de son silence... Comme si c’était encore de sa faute : Pourquoi elle ne parle que maintenant ? Comment elle le fait ? Pourquoi elle le fait ? Des questions qui n’ont aucun sens au regard du traumatisme engendré par l’impact d’une agression sexuelle, d’un inceste.



Violences sexuelles sur mineur

C’est lourd, tu sais, de t’entendre ainsi faire porter une culpabilité supplémentaire sur cette victime qui a déjà vécu l’impensable ; ce déchirement intérieur qui bouleverse sa vie et remet en question toute sa construction personnelle ; cette agression qui lui a ôté une partie d’elle- même ; cette part manquante, elle la cherchera toute sa vie.

Si tout est si complexe et difficile, c’est justement parce que cette violence s’est portée sur ce qui s’appelle un enfant. Il faut que tu comprennes que l’enfant est fragile, vulnérable, malléable, qu’il s’en remet totalement aux adultes qui sont là pour lui ouvrir les voies de la vie. Il a confiance en eux, les adultes référents sont des modèles, des miroirs, des calques sur lesquels l’enfant va se construire.

L’enfant est innocent, il ouvre ses grands yeux quand tu lui racontes une histoire, il te croit quand tu lui dis que tu l’aimes, il te croit quand tu lui dis qu’il y a des choses à ne pas faire, il est reconnaissant quand tu le félicites et que tu lui apprends la vie. Il te fait confiance en peu de temps. C’est comme un pacte naturel scellé avec toi, un pacte d’honneur, jamais il ne le trahira, encore plus si tu es celui qui l’élève, son parent. C’est comme ça un enfant !

Puis, un jour, une personne qu’il connait bien va lui ôter d’un coup toutes les étoiles qui brillaient dans ses yeux. Cette personne, en qui l’enfant avait confiance, la même qui a signé ce pacte avec lui, va le trahir ! Il va le trahir à tout point de vue, dans sa chair, dans son esprit, dans son coeur.

Par des chemins biaisés et souvent les mêmes, l’enfant est entrainé dans un piège dont il est incapable de s’échapper tout seul, notamment si le piège s’appelle « papa », « papy », « beau-père », « grand frère », « tonton » .... Parce qu’il est trop petit, parce qu’il a confiance au départ, parce qu’il ne voit pas le mal, parce qu’il a peur, parce qu’il a été menacé, parce qu’il est tenu au secret par un chantage affectif, parce qu’il est réduit au silence...

Puis, quand il découvre toute l’anormalité de ce qu’il a finalement subi : une agression sexuelle, soit peu de temps après, soit des décennies plus tard, oui, tu dois aussi comprendre ce qu’est l’amnésie traumatique pour ne plus poser la question du silence. Car si l’enfant a bien senti une douleur profonde en même temps qu’il vivait ce crime, deux choix s’offrent à lui : soit il va en parler tout de suite (ce qui est rare), selon son âge bien sûr car pour un tout petit c’est impossible, soit il va enfouir en lui ce qui va devenir le traumatisme de sa vie.

Tu dois savoir, toi qui est la Société et qui a un pouvoir d’agir quand tu ne fais pas la sourde oreille, que l’enfant a été trahi dans la filiation quand c’est un parent et qu’il s’agit alors de l’inceste. C’est-à-dire dans ce qu’il y a de plus profond en lui, de plus intime et de plus incompréhensible. Il va donc être difficile d’en parler à un autre adulte, qui est peut-être pareil ... Puis, il se lance quand même et en parle à quelqu’un de très proche, qui va le croire, c’est sûr, il va pouvoir se libérer de ce fardeau.

Cet autre adulte, souvent celle qui, il en est certain, est son alliée, celle à qui il peut tout dire, celle qui l’aime tellement qu’elle va le protéger dans l’instant, c’est sa maman. Mais, bizarrement, elle va douter de sa parole, ou elle ne va pas le croire, ou alors elle va minimiser les faits, ou encore lui faire entendre qu’il va oublier : Il ne faut pas briser la famille, la carrière, il ne faut pas que ça se sache ; ce n’est pas possible il n’a pas pu te faire ça, tu mens ! C’en est terminé ... l’enfant ne peut désormais plus avoir confiance en l’adulte, il va se replier sur lui. Il est définitivement tout seul.

Les enfants mentent parfois, c’est vrai, mais pas sur ce sujet, tout simplement parce que c’est un sujet dont ils ne connaissent rien. Il a donc parlé à un adulte, sa mère ou quelqu’un d’autre, qui ne l’a pas cru. Tu sais ce même adulte avec lequel il avait scellé le pacte d’honneur. Mais alors, qui va le croire maintenant ? L’enfant va repartir avec parfois une honte décuplée, parfois furieux mais davantage blessé, il va définitivement enfermer ce tragique secret là où personne ne pourra aller le chercher, même pas lui, dans l’amnésie.

Ou bien, il n’a rien dit à personne, mais ce qu’il a vécu est si terrible, il le sent bien inconsciemment, qu’il va se dissocier du traumatisme pour pouvoir survivre. Il va enfouir cette agression dans un coin de son cerveau qui va lui permettre de vivre, tout en laissant s’échapper une petite musique qui va lui rappeler tout au long de sa vie qu’il ne va pas bien, mais il ne sait pas pourquoi.

Ca peut durer longtemps, tu sais : 5 ans, 10 ans, 30 ans, 50 ans ... puis un jour, un évènement vient réveiller le souvenir ou l’émotion et ce n’est plus possible de se taire.

Tu vois, ce n’est pas simple. Il faut être indulgeant parce que personne n’est dans la tête de la victime pour trouver le chemin vers une certaine paix et ce chemin est long et sinueux.

Société, toi qui est grande, toi qui a un certain pouvoir, toi qui peux bousculer l’opinion, toi qui sais crier quand tu estimes subir une injustice, tu dois protéger les enfants quoi qu’il en coute aussi et sortir de ton déni.

Je te raconte cette histoire pour que tu comprennes que le temps de la parole est un temps que l’on doit offrir aux victimes sans limite, ou alors des limites très éloignées. La prescription est un rempart que l’on doit faire tomber, aucun frein ne doit venir empêcher la parole. Je me souviens de ma mère quand elle me l’a avoué, elle avait 60 ans, elle n’en avait jamais parlé, sauf à sa mère qui ne l’avait pas crue. En l’écoutant, je voyais dans son regard figé et vide exactement tout ce que je viens de t’expliquer ; une part d’elle était bien morte quand elle était toute petite.

Les victimes ne réclament pas la mort de leur bourreau, elles ne sont pas non plus dans la vengeance, j’en connais et j’en ai entendu beaucoup pour pouvoir te le certifier. Elles ont une trop belle âme pour cela, celle de leur enfant intérieur qui réclame la vérité et la reconnaissance. Elles veulent qu’on leur donne cette liberté de pouvoir se libérer quand c’est le moment, choisi ou pas, pour pouvoir se reconstruire.

Elle veulent pouvoir aller en justice si c’est leur choix, pour elle et pour toutes les autres victimes ou celles à venir. Elles veulent des condamnations justes et à la hauteur de ce pacte qui a été brisé, de ce crime qui touche 1 français sur 10*. Elles veulent qu’on protège les enfants avec un âge en dessous duquel on ne peut pas dire qu’il y a consentement. La majorité sexuelle étant fixée à 15 ans en France, l’adolescence se situant dans ce périmètre où la pleine compréhension s’installe, l’âge de 15 ans parait logique ; 18 ans pour les crimes incestueux, car l’emprise est grande tu sais et parfois cela va au-delà de la majorité.

Les victimes veulent juste être entendues dans le calme et la reconnaissance de ce qu’elles ont subi.

Elle veulent que tu les croies dans l’instant et que ton regard change pour que ça n’arrive plus !

Nathalie Cougny
Présidente de l’association « Les maltraitances, moi j’en parle ! »

Société : « Milieu humain dans lequel quelqu'un vit, caractérisé par ses institutions, ses lois, ses règles. » *Sondage IFOP pour l’association Face à l’inceste.



Le 08/01/2021

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