4 questions à un professionnel

 

 

 

Bonjour Gilles, tu es médecin au centre de santé de Romainville en Seine-Saint-Denis, maître de conférences à l'Université Pierre et Marie Curie et tu as été membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes de 2015 à 2019. Tu élabores également les campagnes de sensibilisation pour la Fondation pour l’Enfance et tu es membre de l’association StopVEO, Enfance sans violences, merci pour cet entretien.

 

 
 

 

1/ Au regard des nouvelles connaissances médicales, quel impact ont les violences éducatives ordinaires (VEO), difficiles à faire entendre et pourtant interdites depuis la loi de juillet 2019, loi à laquelle tu as largement contribué ?

 

Gilles Lazimi : Bonjour Nathalie, c’est une question très large. Il faut essayer de sensibiliser les parents au fait que ce qu’ils ne subissent pas et ne font pas subir à d’autres adultes, ils ne doivent pas le faire subir à un enfant. C’est quand même quelque chose d’incroyable de penser que ça puisse faire du bien à un enfant, comme le frapper, l’humilier ou le blesser, que ça puisse avoir une incidence sur son éducation. Les parents doivent se remettre en situation d’être enfant …

 

Je vais répondre à ta question, mais d’un point de vue éthique, cela m’ennuie un peu. On a été obligé de parler science pour justifier quelque chose qui est éthiquement évident pour les adultes. Nul besoin d’études pour faire des lois interdisant les violences envers les adultes, les hommes, les femmes et pour les enfants il a fallu produire des études pour justifier l’évidence des effets nocifs de la violence sur les enfants, les êtres les plus faibles !

 

Tous les enfants ne sont pas les mêmes et tous les enfants ne vont pas avoir le même retentissement. Forcément, la marque que ça va imprimer sur leur cerveau ne sera pas la même et ne se fera pas au même âge. Ce qu’on sait, c’est que plus on a des actions de violence éducative sur un enfant jeune, plus ça va avoir un impact sur son développement, sur sa scolarité, sur le développement de ses structures cérébrales, sur ses acquisitions, sur ses relations et ça on le sait d’autant plus aujourd’hui que l’on a des tests qui le prouve. Par exemple sur le QI, des études aux Etats-Unis montrent que les enfants qui subissent des violences éducatives ordinaires ont un QI plus faible que ceux qui n’en subissent pas. Et ce qu’on a pu mettre aussi en évidence, c’est que lorsque ces parents n’utilisaient plus ces méthodes, le QI remontait. C’est donc important de dire que rien n’est jamais perdu et que l’on peut changer pour le bien de l’enfant.

 

En neurosciences, nous avons plein d’études qui montrent que des structures comme l’amygdale, l’hippocampe, qui sont des structures intra cérébrales, vont être altérées, vont diminuer de volume, d’épaisseur, et que des violences verbales, des propos très humiliants ou des violences physiques, et bien sûr sexuelles, vont avoir une incidence qui peut provoquer des dégâts massifs. Le pire des dégâts, ce sont des enfants qui ont été victimes ou témoins de violences graves pendant leur enfance, pendant leur petite enfance, je veux dire quand ils sont dans les bras de leur mère, donc des nourrissons. Plus il y a de violences à cet âge-là, plus ça peut entrainer des dégâts cérébraux, mais encore une fois, rien n’est jamais perdu, c’est important de le dire et de le répéter.

 

L’impact est majeur sur ces enfants-là, car ils sont incapables de reconnaitre les émotions des autres, ils ne sont plus capables d’être en relation avec les autres. C’est-à-dire qu’ils ne savent plus « lire » cette relation, ce qui peut induire une très grande violence. Ce sont des situations extrêmes, mais si un enfant reçoit des coups ou est blessé, humilié, très jeune, il va être en difficulté pour être en relation avec les autres et avec lui-même. Il ne saura pas s’écouter, se comprendre, il ne pourra pas émettre des émotions. Il va être dans l’action, dans l’agir et dans le risque de reproduire ces violences.

 

Enfin, on éduque par l’exemple et nous savons que les enfants vont reproduire l’exemple. L’image principale d’attachement d’un enfant, ce sont ses parents et si ses parents le font, c’est qu’ils ont forcément raison et si ses parents le font c’est que lui aussi pourra le faire et il trouvera des justificatifs pour le faire. Sa relation sera altérée avec lui, avec ses parents, avec ses copains et copines de son âge, et puis il aura une proportion pour être plus violent avec les autres, dans son couple plus tard, dans ses relations en général. Donc ces violences ont une incidence à 180 degrés, c’est-à-dire dans toutes les dimensions de sa relation.

 

La question éthique est majeure et il faut vraiment aider les parents à comprendre, à se remettre à la place de l’enfant qu’ils ont été, à réfléchir pourquoi à un moment donné ils sont violents. S’ils se mettent à réfléchir à cela, ils vont comprendre que ce n’est pas pour le bien de l’enfant, ça n’a pas de justification, la seule justification, c’est eux ! Cette justification on peut la retrouver en eux, parce qu’ils ont vécu cette violence et parce que ce sont leur parent qui l’ont utilisée sur elle ou sur lui. Donc, d’un seul coup, on comprend qu’on peut s’empêcher de le faire, on comprend que ça n’a aucun bienfait sur l’enfant et que, au contraire, ça va être néfaste pour l’enfant et pour la relation parent/enfant.

 

 
2/ Tu as été membre de la "Commission des 1000 jours" pour un accompagnement des parents jusqu’au 2 ans de l’enfant. Cette commission, présidée par Boris Cyrulnik, a réuni 18 experts : neuropsychiatres, spécialistes de l’éducation ou de l’éveil des enfants, pédiatres et praticiens hospitaliers, sages-femmes, acteurs de terrain. Comment vont se mettre en place vos différentes propositions, quelles sont-elles et quand verront-elles le jour ?

 

Gilles Lazimi : La commission des 1000 jours a été une rencontre magnifique de divers professionnels qui, à mon avis, se rencontraient pour la première fois. Il fallait mettre l’enfant au cœur des politiques publiques, ça n’avait jamais été fait. Elle s’est mise en place pour établir un rapport et des recommandations, le rapport a été remis le 8 septembre 2020. On attend que ces recommandations soient reprises par les ministres concernés, c’est maintenant aux politiques de la mettre en place.

 

Une première proposition a été reprise et nous en sommes déjà heureux, il s’agit de l’allongement du congé paternité à 28 jours, même si on demandait davantage. Nous avons demandé l’allongement du congé maternité, la création des Maisons des 1000 jours, qui permettra d’accompagner la femme pendant sa grossesse et dans les deux ans qui suivent, en faisant en sorte que tous les intervenants soient dans le même lieu, pour aider les femmes, les couples, aider à former les parents au développement de l’enfant, aux besoins de l’enfant, donner des outils pour que les parents se débarrassent de ce qu’ils ont reçu consciemment ou inconsciemment de la part de leur parent, etc. Nous avons sensibilisé aux violences conjugales pour former tous les professionnels de la santé sur cette problématique, nous attendons que ça se mette en place. Nous avons aussi donné des recommandations sur les modes de garde, en proposant qu’ils fonctionnent avec davantage de professionnels, avec par exemple un professionnel pour cinq enfants, ce qui n’est pas encore le cas, que ces lieux soient plus spacieux. On demande des campagnes sur les VEO, la valorisation des lieux avec des écoles et des maisons des parents, des formations systématiques aux besoin de l’enfant, à la neurophysiologie de l’enfant, du nourrisson, que l’entretien prénatal précoce soit développé, il ne l’ai toujours pas, il est à 25% utilisé sur les femmes enceintes. C’est un projet colossal !

 

Cet entretien prénatal de trois quart d’heure existe déjà depuis plusieurs années, mais là il s’agit de réunir tous les professionnels autour de la femme enceinte et qu’il n’y ait aucun autre objectif que de parler. Parler de sa grossesse, de son projet d’accouchement, de son projet d’enfant, de sa situation économique et sociale, de son milieu culturel, de son environnement, des violences qu’elle pourrait subir, et de l’enfant à venir. Nous voulons que ce temps de parole soit développé et qu’il s’adresse à toutes les femmes enceintes, ce qui n’est pas encore le cas. Nous avons, par exemple, demandé des formations au développement de l’enfant pour les femmes enceintes, comme il y a des formations à l’accouchement. Un enfant va arriver, une femme enceinte ne sait pas forcément comment ça va se passer, ce qu’il faut faire, c’est vraiment pour aider les parents à comprendre ce qu’on peut attendre d’un enfant de six mois, d’un an, quatre ans et plus et comment être le meilleur parent, ou le moins mauvais parent. Le but n’est pas de devenir le parent idéal, ça n’arrivera jamais, mais d’être le moins mauvais possible.

 

Quand on a ouvert la maison de Romainville, il y a plus de 18 ans, on a rencontré les parents, nous n’avions pas toutes ces études et on a vraiment essayé de les aider à penser à eux, à comprendre ce qu’il se passe quand un évènement arrive, nous submerge et nous inonde, quand on ne sait plus quoi faire, quand on se met à hurler. On leur dit : posez-vous, que se passe-t-il, quel est le problème, et on trouve une solution. Les coups n’ont jamais été une solution.

 

Donc, nous attendons maintenant les mesures, pour le moment elle ne sont pas là, pas encore. On espère qu’elles vont arriver rapidement et qu’il y aura des moyens. Je sais que ton association fait un travail remarquable dans les écoles et dans les collèges. On sait, pour avoir travaillé sur des projets à l’école, l’éducations sexuelle ou l’égalité fille/garçon, qu’à peine 25% des écoles les mettaient en place. Donc on espère que ça va être beaucoup plus et qu’il va y avoir des moyens.
 

 

 

3/ Nous savons que le sujet de la maltraitance est très peu enseigné en fac de médecine par exemple, 2 à 5% des médecins alertent ou signalent les enfants en danger, pourquoi sont-ils si peu nombreux à le faire ? Sont-ils protégés par la loi ? Quand est-il du secret professionnel concrètement ?

 

Gilles Lazimi : L’enseignement sur les maltraitances existe, mais il n’est pas suffisant, c’est clair. Ensuite, les médecins sont comme l’ensemble de la société et tolèrent encore trop ces violences et même si on agit de plus en plus, on n’agit pas suffisamment et à tout point de vue. Sur le signalement, effectivement, les médecins ne sont pas forcément les mieux placés en un quart d’heure pour s’assurer d’une maltraitance, mais quand même. Quand ils s’en assurent, ils ne sont pas mis en situation d’être protégés. On est protégé par la loi, mais nous ne sommes pas protégés par l’Ordre des médecins. Il y a des injonctions paradoxales, on nous dit : signalez, signalez, signalez, et dès qu’un médecin signale, l’agresseur ou la famille de l’enfant, par exemple, peut porter plainte contre le médecin. L’Ordre des médecins va forcément convoquer ce médecin et lui faire des remarques. Donc au lieu d’accompagner, d’aider, de former des médecins au signalement, l’Ordre des médecins fait tout pour les effrayer, les mettre en garde, parce qu’eux-mêmes ne sont pas formés. Il y a un certain conservatisme et ils n’ont pas compris l’intérêt majeur du signalement. Ils sont dans une rigidité de rédaction des certificats, tout simplement, et ils ne sont pas du tout formés aux violences.

 

A tel point, qu’ils informent mal les médecins sur les certificats et quand il y a une plainte, ils accablent les médecins qui signalent au lieu de les accompagner et de les défendre. C’est un combat que l’on mène depuis très longtemps, avec l’exemple du Dr Catherine Bonnet qui a eu une interdiction d’exercer pendant plusieurs années, parce qu’elle aurait mal rédiger le certificat, ça n’a aucun sens. Cette situation a évolué depuis, mais pas assez, récemment il y a eu trois affaires. Une jeune femme médecin qui a fait un signalement et qui a eu un avertissement parce que le certificat aurait mal été rédigé, alors qu’il était très bien fait et qu’il a été fait selon les normes d’un certificat qu’on a conjointement rédigé avec le Conseil national de l’ordre des médecins. Mais les Ordres départementaux n’ont manifestement pas bien étudié ce certificat. Et puis deux autres médecins qui ont été suspendues d’exercice parce qu’elles avaient également mal rédigé leur certificat.

 

Tu me demandes pourquoi, en fait les médecins ne doivent pas s’approprier les affaires. Par exemple, un médecin écrit : « Je soussigné, certifie avoir reçu ce jour Me untelle qui me déclare avoir été victime de violences », ou « qui a été victime de violences », cette manière de rédiger peut être préjudiciable, ça veut dire que le médecin s’approprie la réalité. Il faut écrire : « Je soussigné, certifie avoir reçu ce jour Me untelle qui déclare : « j’ai été victime de violences » » (il faut ouvrir des guillemets), c’est aussi aberrant que cela. C’est aberrant car ça veut dire que l’agresseur peut porter plainte contre le médecin.

 

Alors que la loi oblige à faire un signalement au procureur et qu’il faut le faire. Donc, il faut apprendre aux étudiants et aux médecins à rédiger correctement le certificat et il faut que les Conseils départementaux et les Conseils nationaux de l’Ordre accompagnent les médecins, c’est leur rôle. On peut trouver ce modèle de certificat sur le site du Conseil national de l’ordre des médecins, il y a un certificat de coups et blessures pour les femmes victimes de violences qui est très bien rédigé. On peut aller sur le site arretonslesviolences.gouv.fr* où le certificat est aussi présent. Mais il faut que les médecins se forment, se rapprochent d’associations, pour ne jamais être seuls dans cette situation.
 

 

4/ Penses-tu que notre société puisse un jour créer un schéma d’éducation bienveillante, que faut-il faire pour que cela change ? Que nous manque-t-il ?

 

Gilles Lazimi : Les choses bougent et les choses changeront avec les jeunes parents, on le voit, la société bouge, il n’y a pas d’autres voies possibles. Les lois sont là, il faut que les lois soient appliquées et le fait qu’on ai réussi à faire voter cette loi sur les VEO en 2019, même si elle est non pénalisante, elle a une symbolique très forte car elle est dans le code civil. Il faut que de plus en plus de magistrats soient formés, avec l’évolution de la société, et qui appliqueront la loi. Nous voyons, depuis cette loi, à plusieurs reprises, de plus en plus de juges et de magistrats font écho à cette loi, qui est également lue au moment du mariage. De fait, cette loi sera pénalisante. De fait, on s’appuiera sur le code civil pour dire qu’on n’a pas le droit de frapper un enfant, qu’on n’a pas le droit de toucher un enfant. Cela mettra un peu de temps, mais s’il y a de réelles volontés et d’actions politiques, des campagnes répétées, mais pas que des campagnes d’associations, des financements pour les maisons et les écoles de parents, pour les PMI, les crèches, des formations pour les professionnels de l’éducation car nous avons vraiment besoin d’eux, pour les professionnels de l’enfance, les conseils médicaux et des actions dans les écoles, je pense que c’est inéluctable, on réduira les violences envers les enfants. Je reste positif, mais il y a beaucoup de travail.
 
Interview réalisée par Nathalie Cougny, présidente et fondatrice de l’association « Les maltraitances, moi j’en parle ! » - Avril 2021
 
* https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel
 

 

 

 

"Les mots que je ne te dirais pas" - 2020 - StopVEO Enfance Sans Violences : https://www.youtube.com/watch?v=T9_I2ifc5go
"La journée de la non-violence éducative, dorénavant c'est tous les jours" : https://youtu.be/9_HxP6hpXnI
"Les mots qui blessent" - 2017 : https://youtu.be/Uk9rjqKqKuU
"Trois générations" film de prévention des violences éducatives ordinaires - Fondation pour l'enfance 2011 : https://youtu.be/ZgAMczPxs60
"La gifle" : Clip de la Fondation pour l’enfance : https://www.youtube.com/watch?v=ntMah1CJMg0

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