4 questions à un professionnel

 

 

 

Bonjour Céline, tu es responsable promotion et diplômée en langues, fondatrice en 2009 du groupe militant « Non à la violence éducative ordinaire », qui est devenu l’association StopVEO, Enfance sans violences en 2016. Tu es la présidente de cette association, merci de m’accorder cet entretien.

 

 

 

1/ Céline, le 30 avril marque la journée de la non-violence éducative sur les enfants et ton association milite pour une prise de conscience et faire en sorte que ces violences diminuent de façon conséquence. Sachant que 87% des parents utilisent cette violence à des fins éducatives, peux-tu nous dire ce que sont ces violences et à partir de quand on a su les nommer ainsi ? Quel pays a fait ses preuves sur ce sujet ?
 
Céline Quelen : Bonjour Nathalie, il n’y a pas de liste des violences éducatives ordinaires, et on se refuse à en faire une, on peut dire que ce sont des violences d'ordre physique et psychologique ou morale qui humilient l'enfant, le blessent (physiquement et psychologiquement), et qui sont utilisées à des fins éducatives, c’est-à-dire pour lui faire adopter un autre comportement que le sien. C’est également la définition internationale de la maltraitance émotionnelle.
 
On peut dater ces violences à partir des travaux d’Alice Miller qui était psychanalyste, mais qui est revenue sur sa formation de psychanalyste en faisant elle-même ses propres recherches. A partir des années 80, on a commencé à s’intéresser à ce qu’on appelait la « pédagogie noire », les violences exercées dans un but éducatif, avec les livres d’Alice Miller : « C’est pour ton bien » ou encore « Le corps ne ment jamais ». En France, ces travaux ont été repris par Olivier Maurel qui, avec l’Observatoire de la Violence Educative Ordinaire, a véritablement fait connaitre cette violence auprès du grand public et du législateur.
 
Evidemment, le pays auquel on pense à ce sujet c’est la Suède, puisqu’il en est le précurseur avec une loi votée dès 1979, avant même la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant et que l’ONU s’empare de cette problématique. Nous avons 40 ans de recul, le curseur de la violence sur les enfants s’est complètement déplacé chez eux, ils ont d’autres méthodes éducatives qui sont bienveillantes et dénouées de toute violence physique ou psychologique. En dehors, bien sûr, des parents qui ont une pathologie ou une addiction, comme la toxicomanie, qui favorise les violences, ils ne sont pas à zéro violence, mais en comparaison avec la France où 1 enfant meurt tous les 5 jours suite à des maltraitances de toute personne confondue et 1 tous les 4 jours sous les coups d’un parent, en Suède ils sont à un ou deux décès par an. Ce qui en dit long sur les bénéfices de cette éducation bienveillante.
 
 
2/ Une loi a donc enfin été votée le 10 juillet 2019 en France pour interdire ces violences sur les enfants, la loi précise : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Ton association a beaucoup contribué à l’instauration de cette loi. Entre les parents qui pensent que « ça n’a jamais fait de mal à personne » et ceux qui ne se rendent pas compte qu’ils utilisent cette violence, comment faire entendre l’importance de cette loi et surtout faire en sorte que ces violences sur les enfants diminuent ?
 
Céline Quelen : il y a l’angle de l’éducation, de la parentalité, qui est effectivement très important, et puis il y a l’angle des droits de l’enfant. La France est un pays qui a signé la Convention internationale des droits de l’enfant, dans l’article 19 de cette convention il est écrit que la violence est proscrite sur les enfants, quelle qu’en soit la forme. Ne pas légiférer contre les violences éducatives ordinaires, c’était déjà aller contre cet article de la convention. La France a été condamnée par l’ONU en 2015 et par la Conseil de l’Europe qui avait mis en place un vaste plan pour lutter contre les châtiments corporels. Si on prend l’angle des droits de l’enfant, on ne peut pas l’ignorer. En ce qui concerne la parentalité, il faut savoir que la violence existe de tout temps, jusqu’à récemment on utilisait la violence pour « dresser » les enfants. C’est difficile, même avec une loi, de demander aux parents de se débarrasser de millénaires de gestes violents et de pensées violentes. On ne peut pas leur faire porter cela à eux seuls. En revanche, nous avons assez de recul, avec les études scientifiques, pour montrer tout le mal que ça fait à l’enfant, à son cerveau, à son développement et son avenir futur d’être humain. Il faut vraiment arriver à faire prendre conscience aux parents que quand ils utilisent ces violences, elles ont un véritable impact sur la santé de leur enfant, avec des dommages démontrés et parfois difficilement réparables. Grâce à cette prise de conscience, chaque parent qui veut le meilleur pour son enfant peut s’engager vers une éducation non violente. Aujourd‘hui, il existe de nombreux outils, des méthodes de parentalité, des livres, des vidéos, qui expliquent très bien comment faire ; une vraie volonté de la part des parents est donc nécessaire. Il faut avoir conscience de ce que l’on fait chez soi, quand on lève la main sur son enfant, on est responsable de ce qu’on fait, sans culpabiliser les parents mais en les responsabilisant, juste leur faire prendre conscience de ce qu’ils font. La société a aussi une responsabilité, elle doit faire appliquer et faire respecter les droits des enfants et ça c’est du domaine législatif et exécutif.
 
Cette loi est en partie incluse dans le plan des "1000 jours" mis en place par Adrien Taquet, Secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance et des Familles, mais concrètement pour la porter nous aurions souhaité des campagnes de communication, il n’y en a pas eu, et des formations auprès des professionnels, de manière très large et obligatoire. Par exemple, l’article 3 de cette loi concerne directement les assistances maternelles, il précise que les assistantes maternelles doivent être obligatoirement formées aux violences éducatives ordinaires et depuis cette loi, elles ne le sont pas. Elles n’entendent même pas parler des VEO dans leur formation, c’est au bon vouloir des centres de formation qui dépendent des départements de le proposer. Il faut donc une vraie volonté politique qui suive le travail conséquent que la députée Maud Petit a réalisé. Il faudrait un décret pour que cette formation devienne obligatoire, comme pour le secourisme, mais le problème est que les formateurs ne sont eux-mêmes pas formés aux VEO, donc ça pose vraiment un problème.
 
 
3/ Pourquoi t'es-tu personnellement engagée dans ce domaine des Violences Educatives Ordinaires (VEO) et quelles sont les actions que ton association développe ou va mettre en place pour prévenir cette violence ?

 

Céline Quelen : J’ai été sensibilisée naturellement, en lisant notamment le livre d’Oliver Maurel : « Oui la nature humaine est bonne. Comment la violence éducative ordinaire la pervertit depuis des millénaires », qui m’a ouvert les yeux sur cette cause. Je me suis dit : « il a tout compris » et j’avais un besoin de m’engager fortement. J’ai d’abord créé un groupe sur un réseau social qui est arrivé rapidement à 5/6000 personnes, on a commencé à mettre en place des plaidoyers, puisque c’était l’époque où Edwige Antier présentait le premier projet de loi. J’ai été conviée à l’Assemblée nationale, je me suis dit que c’était sur ce sujet que je devais agir et j’ai créé l’association StopVEO, Enfance sans violences. Nous avons donc fortement soutenu cette loi en accompagnant Maud Petit dans son travail, il fallait convaincre les autres députés et les autres partis politiques.

 

Depuis la loi du 10 juillet 2019, nous faisons tout pour la faire connaitre, à travers des campagnes de sensibilisation via des clips ou affichages, des conférences et des campagnes sur les réseaux sociaux. Nous avons créé un kit pour les médecins avec des affiches et des dépliants à déposer dans leur cabinet qui est toujours disponible sur demande et nous travaillons sur une malette pédagogique à destination des enseignants, car comme tu le sais aussi à travers ton association, il y a beaucoup à faire autour de l’école.
 
Mais pour pallier ce manque de formation des professionnels, y compris pour les médecins qui sont démunis face à cette forme de violence, nous sommes en train de devenir un organisme de formation agréé qui verra le jour, je l’espère, en 2022, c’est notre grand projet. En effet, pour pouvoir détecter la violence éducative ordinaire, c’est très subtil et cela demande une formation spécifique. Par exemple, le 119 reçoit de plus en plus d’appels concernant la violence éducative, des personnes se questionnent pour savoir si tel comportement concerne cette violence, il faut savoir quoi faire et à qui passer le relai, aujourd’hui ce n’est pas le cas. Nous voulons donner aux professionnels tous les moyens pour pouvoir agir avec des formations certifiantes.
 
Je viens aussi de publier un livre aux éditions First : « Le décodeur des VEO », très accessible (2.99 €), qui donne ma vision des violences éducatives ordinaires avec toutes mes connaissances. Il est divisé en 4 parties : comment la violence a toujours été présente dans l’éducation des enfants, quels que soient le pays et l’époque ; comment cela peut être « balayer » par les études neuroscientifiques en expliquant ce psycho-traumatisme, ce qu’il se passe dans le cerveau de l’enfant, le stress induit ; ensuite une partie sur la législation et les droits de l’enfant ; puis le cocon familial, comment faire autrement pour nos enfants, avec des pistes, des conseils et des croyances erronées à faire disparaitre.
 

 

4/ Penses-tu que notre société puisse un jour créer un schéma d'éducation bienveillante, que faut-il faire pour que cela change et réduire cette violence éducative, que nous manque t-il ?

 

Céline Quelen : Pour réduire ces violences, il est primordial de changer ses habitudes. Pour la violence physique par exemple, on peut passer un contrat moral avec soi-même et avec son enfant, se dire et lui dire qu’on ne lèvera plus la main sur lui. Mais pour cela, il faut vraiment avoir conscience de l’impact que ces violences ont sur les enfants et être convaincu des résultats positifs. En ce qui concerne les « caprices », entre guillemets car là aussi nous avons une vision erronée des choses, nous pouvons aller vers une communication non violente. C’est-à-dire se relier aux émotions de son enfant, se dire que s’il adopte un comportement particulier c’est qu’il y a une raison et chercher cette raison. Bien sûr, cela demande plus de temps et d’attention que de réprimer son enfant. On peut tous être énervés ou en colère, mais on peut toujours se dire comment faire mieux la prochaine fois et aborder le sujet autrement.
 
J’ai grand espoir que l’on puisse arriver à une société non violente, même si effectivement certaines histoires ou certains faits divers peuvent nous faire penser le contraire. Les dernières découvertes en neurosciences affectives et sociales, qui montrent vraiment l’impact de ces violences sur le cerveau de l’enfant, vont aider au changement aussi, c’est très récent. Il nous manque du temps ! Il faudra du temps et en même temps nous n’en n’avons pas beaucoup car des enfants meurent et souffrent. Il y a cette double problématique de l’urgence et que ça ne se fera pas en un jour. Nous devons persévérer et continuer, comme toi tu le fais dans ton association, et nous y arriverons, tous ensemble.
 
Interview réalisée par Nathalie Cougny, présidente et fondatrice de l’association « Les maltraitances, moi j’en parle ! » - Avril 2021

 

 

                             

 

Site de l'association : https://stopveo.org/

 

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